Journal de bord
Ce mémoire est né d’une très grande passion pour les questions de violences basées sur le genre. Très tôt, j’ai commencé à m’intéresser au féminisme, à chercher à comprendre les questions des droits des femmes, des inégalités et surtout des violences qu’elles subissent. Cet intérêt pour ces questions m’a d’ailleurs conduit à intégrer une organisation pour la défense des droits des femmes en Guinée en 2018.
Dans mes lectures sur les violences sexuelles en temps de conflit, j’ai constaté une absence : celle du cas guinéen. Le massacre du 28 septembre 2009 est bien documenté par les ONG internationales, mais dans la recherche universitaire, les récits des femmes survivantes restent peu analysés, peu entendus, et encore moins valorisés. C’est de ce silence que je suis partie.
Je voulais comprendre ce qui s’était réellement passé ce jour-là, au-delà des chiffres et des rapports. Surtout, je voulais écouter les femmes. Les remettre au centre, non pas uniquement comme victimes de crimes, mais comme témoins puissants, comme détentrices d’un savoir sur la violence, sur la survie, sur la mémoire.
Ce mémoire est donc autant un travail universitaire qu’un acte de reconnaissance. Il s’inscrit dans une démarche militante : donner la parole à celles qu’on a réduites au silence, offrir un espace d’expression même anonyme à celles qu’on entend peu.
J’ai commencé par une revue approfondie de la littérature sur le viol de guerre, en m’attachant à croiser les approches juridiques et sociologiques. Très vite, je me suis heurtée aux limites de ces cadres théoriques : le cas guinéen ne s’inscrivait pas dans un conflit armé conventionnel, et les outils disponibles n’étaient pas toujours adaptés.
C’est ce qui m’a amenée à choisir une approche qualitative, centrée sur l’analyse de témoignages. Ces récits ont été recueillis directement dans le cadre de ce travail, grâce à la collaboration d’associations locales, notamment AVIPA et l’Association des Femmes et Filles violées du 28 septembre.
J’ai aussi eu la chance de m’entretenir avec des acteurs engagés sur le terrain : une avocate ayant représenté les victimes, un responsable d’ONG. Ces échanges ont enrichi ma compréhension du contexte, tout en confirmant la complexité émotionnelle, politique et juridique de cette affaire.
Très tôt, j’ai décidé de garantir l’anonymat total des femmes ayant témoigné. Il ne s’agissait pas de les exposer, mais de créer un espace de parole protégé, respectueux et digne. Une a autorisé que son récit puisse être diffusé sans modification de sa voix, certaines m’ont autorisé à reprendre leurs mots, à condition qu’on ne puisse pas les reconnaître. D’autres n’ont pas voulu parler, et je respecte leur silence, car c’est aussi une forme de témoignage. Dans certains témoignages, des noms d’autres personnes liées à l’histoire ressortent, en dehors du gouvernement d’alors, j’ai pris le soin de les anonymiser également. Par exemple, une victime explique le calvaire que lui a fait subir, une représente d’une organisation. N’ayant pas le droit de relever les identités, j’ai pris le soin de les nommer par les premières lettres de leurs noms. « Mme S, Dr S, K , Tantie N ». Cette précaution est due au fait que les accusations sont non seulement graves, mais les détails donnés pourraient remettre en cause l’anonymat.
Ce qui rend ce mémoire différent, je crois, c’est qu’il ne cherche pas seulement à analyser les violences sexuelles pendant ces évènements. Il s’attache à écouter, à restituer, à porter la voix. Il propose une lecture située, incarnée, de ce que signifie être victime dans un contexte de terreur d’État.
Enfin, j’espère qu’il pourra ouvrir la voie à d’autres formes de récits. Si ce travail permet à une femme, quelque part, de se sentir moins seule ou plus légitime dans sa douleur, alors il aura déjà accompli quelque chose.