Face à l’impunité, la parole d’une avocate

Au cœur du procès du 28 septembre, la reconnaissance des violences sexuelles comme crimes contre l’humanité a marqué un tournant juridique et symbolique. Me Halimatou Camara, une avocate engagée dans la défense des victimes, revient sur les avancées, mais aussi les insuffisances de la procédure, dans un contexte encore fragilisé par l’impunité, les pressions et l’absence de réformes structurelles. Son témoignage éclaire les obstacles rencontrés, les dispositifs mis en place, et la portée inégale du verdict.

Des témoignages parfois fragmentés, marqués par le traumatisme

Certaines variations dans les récits sont dues à la mémoire traumatique. Le rôle des avocats a été déterminant pour reformuler sans trahir, afin de garantir une cohérence aux yeux des juges. Mais pour nombre de survivantes, les preuves sont visibles dans leur quotidien : leur corps, leur vie, leur santé portent encore la trace des violences subies.

Malgré une loi sur la protection des victimes adoptée avant le procès, son application reste très partielle. La sécurité des plaignantes n’a pas été assurée par l’État. Ce sont les avocats eux-mêmes qui ont dû improviser des mesures pour préserver leur anonymat et éviter leur stigmatisation.

Un verdict qui reconnaît la gravité des crimes sexuels

Pour la première fois, les réparations allouées aux victimes de violences sexuelles ont été plus élevées que pour d’autres crimes. Un signal fort. Mais au-delà de l’indemnisation, c’est la reconnaissance du caractère systémique de ces crimes qui a été saluée par les survivantes

L’affaire reste une exception. Dans les affaires ordinaires de viol, les peines restent faibles et l’impunité domine. L’avocate met en garde contre toute euphorie : sans changement profond de la justice, ce procès risque de rester un cas isolé.

Des défis majeurs pour lutter contre l’impunité

Les obstacles sont nombreux : les survivantes ne connaissant pas leurs agresseurs, les preuves sont difficiles à établir et les avocats font face à des victimes détruites physiquement et psychologiquement.

Une réparation fragilisée par la grâce présidentielle

Alors que le procès en appel était attendu, la grâce accordée à l’un des accusés a mis en péril la portée symbolique et juridique de l’ensemble. L’avocate dénonce une décision illégale et politique, incompatible avec l’exigence de justice. La réparation, dit-elle, ne peut être réduite à une somme d’argent, passe aussi par la cohérence et la rigueur de l’ensemble du processus judiciaire.

Le procès du 28 septembre a marqué une rupture dans l’histoire judiciaire de la Guinée. Il a permis, pour la première fois, de qualifier des violences sexuelles comme crimes contre l’humanité et d’en juger les auteurs présumés. Mais au-delà de ce tournant symbolique, il révèle aussi les limites persistantes du système judiciaire guinéen : protection insuffisante des victimes, impunité structurelle, absence d’application des lois existantes.

Pour les avocats comme pour les survivantes, le procès n’est qu’un début. La reconnaissance juridique doit s’accompagner d’un engagement politique fort, de mécanismes de réparation réels, et d’une volonté de prévenir la répétition des crimes. Faute de cela, le risque est grand que cette étape historique reste une exception, au lieu de poser les bases d’une justice durable et équitable.

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